Ryo Fukui - Scenery

Scenery, le premier album du pianiste japonais Ryo Fukui sorti en 1976, a pendant longtemps été l’un des trésors les mieux gardés du jazz.
Il faut dire qu’avant l’ère d’internet et d’une la diffusion mondialisée de la culture, il fallait soit avoir la chance qu’un disque sorti à l’autre bout du monde suscite suffisamment d’intérêt (et de retour sur investissement) pour qu’il soit distribué de ce côté de l’occident, soit avoir le portefeuille suffisamment garni pour chiner des imports rares et chers dans des boutiques spécialisées.
Et pourtant, il s’agit d’une des œuvres les plus importantes du jazz japonais, un pays exigeant en la matière qui compte d’ailleurs le plus d’auditeurs amateurs du genre au monde. Et cette création est d’autant plus étonnante que son auteur est un musicien autodidacte qui a commencé à jouer de l’accordéon à l’âge de 18 ans pour s’initier seul au piano, quatre ans plus tard en s’installant à Tokyo.
En 1976, il réunit son frère Yoshinori Fukui à la batterie et Satoshi Denpo à la contrebasse pour enregistrer donc son premier album à la croisée du hard bop, du cool jazz et du jazz modal. En six titres, le trio dégage une énergie et une musicalité qui impressionne par sa maturité et sa maîtrise.

Dès le morceau d’ouverture « It Could Happen To You », une reprise d’un classique de l’américain Jimmy Van Heusen, extraite de la comédie musicale And The Angels Sing, son intro calme et épurée laisse ensuite la place à une envolée sautillante et jubilatoire dans laquelle les doigts du musicien semblent flotter au-dessus des touches du piano. Et que dire de la reprise swing à souhait du classique de Jacques Prévert et Roland Petit « Les Feuilles Mortes » (« Autumn Leaves » en anglais), qui prend une forme inattendue avec la dextérité musicale du trio ?
On est également hypnotisé par leur virtuosité sur « Early Summer », une reprise de leur compatriote Hideo Ichikawa, qui dans un duo piano batterie, dont l’énorme break de batterie de Yoshinori en milieu de morceau emporte tout sur son passage. Mais Ryo Fukui sait aussi avoir un jeu subtil et mélodique empreint de douceur comme le démontrent les morceaux « Willow Weep For Me » ou encore « Scenery », le titre qui donne le nom à l’album et qu’il a composé lui-même pour conclure l’opus.

De par son talent et sa prestance musicale, on compare Fukui à quelques pointures du genre comme McCoy Tyner ou Bill Evans, c’est pour dire ! Mais il faudra pourtant attendre la mise en ligne de l’album sur Youtube à l’orée des années 2010 pour qu’enfin une nouvelle génération s’intéresse à ce petit chef d’œuvre. Et c’est en 2018 seulement que le tout juste naissant label suisse We Release Jazz (le label sœur de We Release Whatever The Fuck We Want Records !) réédite le vinyle à partir des masters originaux. Il était temps, car l’original sorti sur le label Nadja vaut une petite fortune… On trouve même sur Discogs une version signée par Ryo en personne qui est mise en vente à plus de 11000€ !
Le vinyle club vous fait donc découvrir à son tour cette petite pépite qui, à coup sûr, ne quittera pas votre platine d’aussi tôt. In jazz we trust !