Le terme "Nuit américaine" qui nous rappelle de toute évidence la lettre d’amour au cinéma
signée en 1973 par François Truffaut, désigne une technique cinématographique permettant
de tourner en plein jour des scènes d'extérieur censées se dérouler la nuit. Un procédé qui
n'est pas sans évoquer les couleurs et la ligne directrice de cet album.
Lorsque j’ai rencontré Robin Mansanti, j’ai découvert un artiste sensible et déterminé, animé
d’un amour de la musique qui ne connaît pas de limite. Il n’a pas fallu longtemps avant que
nous évoquions Chet Baker. Il connaît tout à son sujet, les dates, les photos, les films et bien
évidemment les enregistrements... Sa passion est touchante, généreuse et communicative.
C’est le musicien, avec le Brésilien João Gilberto, qu’il écoutait gamin et qui fit naître chez lui
l’envie de chanter et de devenir trompettiste. Son phrasé, ses solos constituent son alphabet.
Lorsque l’idée de ce premier album est née, jamais il ne fut question d’éluder cette passion,
elle est dans l ‘ADN de Robin. Elle s’est subrepticement logée quelque part dans sa voix, dans
son jeu de trompette et dans une forme de langueur romantique inhérente à sa nature. Au-
delà des influences, il fallait imaginer un environnement qui fasse émerger une personnalité
singulière et profondément honnête. Il fallait aussi porter un artiste dont émane quelque
chose de nocturne, mélange de clair et d’obscur, de pluie et de lumière et convoquer d’autres
poètes qui porteraient cette sensibilité. Nelson Veras d’abord, un des plus sidérants talents
que le Jazz ait vu fleurir, un guitariste à part, immense conteur et inventeur de langage.
Lorsqu’il évolue sur des mélodies simples d’apparence, il les amène ailleurs, transfigurant avec
douceur leur beauté ... Thomas Bramerie et Fabrice Moreau forment une section rythmique
pleine d’intelligence et d’une empathie créative. Avec un subtil sens de la couleur, ils épousent
les chansons, se saisissent avec grâce des mots et des mélodies. En amont de l’enregistrement,
Robin avait entamé l’exploration, en compagnie de Laurent Courthaliac, de mélodies oubliées.
Le lien fort qu’ils ont alors noué est la matrice de cet album. Le pianiste, maître de la couleur,
alchimiste de l’harmonie lui a ici offert des arrangements sensibles et savants, plein de détours
et de surprises. Et lorsqu’enfin s’invite l’amie de longue date, Camille Bertault, sensible à la
poésie qui émane de Robin, c’est pour nous offrir un délicieux duo autour de la musique
d’"A Bout de Souffle", signée en 1959 par Martial Solal pour le chef d’œuvre de Jean-Luc
Godard. "Nuit américaine" se déroule comme une envoutante et luxueuse playlist de ballades
peu fréquentées, de merveilles éternelles, qui, à notre insu, hantent le grenier de nos
mémoires. Cet album distille d’un bout à l’autre un charme irrésistible, nous plonge dans un
monde onirique et intemporel où s’arrête le temps, comme à rebours d’un monde qui s’affole.
Nous sont ici offerts les premiers pas d’un artiste habité, qui, sans même le vouloir, convoque,
dans tout ce qu’il approche, poésie et beauté.