Dans une époque où la consommation de musique s’uniformise au profit du digital, et où, en 2021, le marché du streaming musical était évalué à 10 520,4 millions de dollars US et devrait dépasser 27 579,9 millions de dollars US d’ici 2024, on dénombre une augmentation constante et non négligeable des ventes de vinyles, fort d’une croissance de 10% avec 4,5 millions d’unités vendues rien qu’en France dans une année de crise sanitaire selon le bilan de la SNEP.
Selon ce même bilan, en France, 42 % des acheteurs avaient moins de 30 ans.
Quelles sont les raisons de ce succès fulgurant ?
Les deux catégories centrales de la technologie musicale enregistrée sont l'analogique et le numérique. Les formats d'écoute numérique sont immatériels et offrent les avantages de la portabilité, de l'efficacité et de la rapidité. Les disques vinyle sont matériels, occupent de l'espace, doivent être stockés correctement et nécessitent un engagement plus important pour fonctionner.
Pour autant, le vinyle s’est élevé au fil du temps au rang d’objet de collection et les disquaires ont été labellisés « essentiels » à l’égal des libraires.
Car socialement et humainement, l'affection au disque vinyle est souvent liée à la nostalgie. À lui tout seul, il incarne l'industrie musicale d'avant, florissante et imaginative.
La seule vision d'une pochette est en mesure de nous rappeler une époque ou des événements précis de notre existence. C'est la représentation de l'objet dans ce qu'il a de plus vrai et de plus authentique.
Jason Corey, ingénieur du son et professeur de technologie des arts du spectacle à l'université du Michigan, affirme que, selon presque toutes les mesures objectives, pour un débit binaire acceptable, le son digital est meilleur. Mais quelles sont ces mesures objectives ? Corey en cite quatre :
La distorsion : Une mesure de la façon dont l'enregistrement représente la source originale.
Le bruit : Tous les sons que vous ne voulez pas entendre dans un enregistrement, causé par la poussière sur l'album ou de petites rayures sur le vinyle, par exemple.
La réponse en fréquence : La qualité et la régularité avec lesquelles l'enregistrement reproduit les fréquences les plus basses et les plus hautes de la source originale.
La gamme dynamique : La différence entre les sons forts et les sons faibles. Le numérique permet une gamme dynamique beaucoup plus large que le vinyle.
La matérialisation des disques vinyle n’empêche cependant pas l’appréciation de ses caractéristiques distinctives. La production de vinyles offre des différences bénéfiques dans l'écoute de la musique enregistrée. Le son est plus marquant, plus riche et plus profond. Au-delà du son, le vinyle offre un plus grand nombre de caractéristiques à apprécier et à évaluer. Il s'agit notamment de caractéristiques tactiles, visuelles et épistémiques.
Bien que les formats analogiques et numériques présentent une série d'avantages et d'inconvénients, il est d’avis général que les disques vinyle sont préférables aux formats numériques, car le son est meilleur et l'expérience esthétique globale est plus riche.
Mais finalement, qu'est-ce qui est plus rémunérateur pour un artiste : la production et le pressage de vinyles ou la diffusion sur une plateforme payante de streaming musical ?
Pour Sophian Fanen, journaliste spécialisé dans l’industrie musicale, « quand tu achètes un CD ou un vinyle, c'est de l'argent qui va aller plus directement à l'artiste. Parce que c'est plus d'argent tout de suite. Les 3 euros, qu'il touche généralement sur la vente d'un disque, l'artiste va les toucher à la fin du semestre. Alors que sur les plateformes de streaming, le temps de faire 3 euros c'est un temps plus long ». Elle ajoute : « La très grande majorité des artistes ne font pas 1000 euros de streaming par mois. Les seuls artistes qui gagnent beaucoup d'argent sur le streaming sont ceux qui font un très fort volume d'écoute ». Et les autres ? « Il y a une prime aux vainqueurs, et les autres sont minorés. C'est un système très peu égalitaire ». Et le système est le même sur toutes les plateformes.
Investir dans le vinyle signifie investir dans la qualité, non seulement de la musique, mais aussi de l'art. Les pochettes carrées font partie intégrante de l'expérience et ont stimulé la carrière de nombreux artistes visuels, y compris Andy Warhol, Roger Dean, Burt Goldblatt et Peter Saville. Leurs créations ont conféré à la musique un langage visuel qui a transformé certains disques en œuvres d'art encore reconnaissables aujourd’hui.
Ces disques, en plus de leur valeur financière, comportent aussi une valeur émotionnelle. Nos vinyles peuvent nous être transmis par nos parents et transmis à nos enfants, tel un héritage permettant aux classiques de vivre et de traverser les âges. Leur rareté est encore plus importante, certains étant produits en quantité limitée.
Le format à lui seul ne garantit pas la qualité : vous pouvez écouter le disque vinyle le mieux conçu du monde, mais cela n'aura aucune importance si vous l'écoutez sur un tourne-disque portable avec des haut-parleurs intégrés.
Au vu du marché actuel de la musique et des nouvelles stratégies commerciales mises en place dans l’industrie musicale, le marché laisse place à une symbiose entre ces modes de diffusion musicaux qui se complètent, le digital permettant une diffusion au plus grand nombre de sa musique et aux vinyles de marquer un lien spécial et solide autour d’un objet entre l’auditeur et l’artiste en entrant dans le quotidien de celui-ci avec une version physique, limitée et esthétique.
Néanmoins, l’impact financier reste un facteur clé de la prise de décision du choix de mode de diffusion par les artistes, le digital étant le plus direct, mais le physique restant à l’heure actuelle à l’inverse plus rémunérateur. Qui plus est, les consommateurs auront toujours ce besoin de créer plus de lien avec l'artiste, avec l'œuvre, et cela passe notamment par la pochette.